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La ville en mutation

Accès à la culture et origines sociales

           Selon une étude PISA ( «Programme International pur le Suivi des Acquis des élèves») portant sur l’évaluation du niveau de culture des élèves français de 15 ans publiée en 2012, la France n’est classée que 25e sur 65 pays. La France a ainsi perdu trois places en un an et cette chute semble inexorable malgré les actions menées pour endiguer le problème. Cette étude met en exergue l’augmentation des inégalités scolaires pour expliquer ce mauvais classement.

          Mais comment expliquer ce phénomène à l’heure où l’école est gratuite et obligatoire pour tous et vise l’assimilation d’un tronc culturel commun pour chaque élève? L’accès à la culture est-il finalement beaucoup plus lié aux origines sociales?

         Pour tenter de répondre à ces questions, nous allons nous appuyer sur l’étude de dix documents. Dans un premier temps, nous tâcherons de définir la notion de capital culturel et les différents moyens dont dispose un individu pour l’enrichir, puis nous verrons que les pratiques culturelles diffèrent d’une classe sociale à une autre, enfin nous verrons que des inégalités se dégagent dès l’arrivée à l’école.

La notion de capital culturel

            La notion de capital culturel a été abordée par de nombreux sociologues. L’Observation de la société la définit comme étant « l’ensemble des ressources culturelles » dont dispose un individu. Ces ressources sont de différentes natures: elles peuvent être matérielles ou informelles (pratiques d’activités culturelles). Le capital culturel évolue en permanence au cours de la vie. En effet, les actions menées tout au long de celle-ci, que ce soient les sorties, les expériences, l’acculturation, tout cela contribue à la formation d’un capital culturel.

Pierre Bourdieu, sociologue français majeur de la deuxième moitié du vingtième siècle, développa la notion de capital culturel en mettant en relation plusieurs phénomènes sociaux. Il établit que le capital culturel met en jeu trois états. En premier lieu, « l’état incorporé », qui met en évidence le travail que doit effectuer l’individu sur lui-même en investissant de sa personne pour pouvoir intégrer les nouvelles informations qu’il aura apprises lors de sa recherche culturelle. Cet état met en évidence que l’acquisition de capital ne peut être possible que lorsque l’individu s’inscrit comme acteur de sa vie culturelle. En deuxième lieu, « l’état objectivé », qui est constitué de biens matériels, est lié au capital économique et se transmet. Ces biens ne peuvent être utilisés correctement que si l’acquéreur à la volonté et les bases pour pouvoir envisager de comprendre les biens culturels (livres, tableaux, œuvres d’art,……). En dernier lieu, « l’état institutionnalisé », qui fait appel au diplôme que détient un individu, il a une valeur aux yeux de l’état et des éventuels employeurs: « ce brevet de compétence culturelle [qui] confère à son porteur une valeur conventionnelle ». Ainsi, le capital culturel est un patrimoine complexe issu de plusieurs aspects sociaux et économiques. En effet, l’environnement familial influe sur les pratiques culturelles futures de l’individu. Dans Finkielkraut et l’Equipe T.Multeau établit un lien entre capital culturel et classe sociale: « Aux capitaux culturels et économiques élevés correspondent des pratiques culturelles différentes, non pas par choix arbitraire » car les choix s’établissent par l’habitus c’est-à-dire le comportement acquis et caractéristiques d’un groupe social. Ainsi les pratiques culturelles sont différentes selon l’origine sociale.

Des pratiques culturelles différentes selon l’origine sociale

            Différentes études ont montré que les pratiques d’activités culturelles sont réparties en fonction des catégories sociales. Dans l’article intitulé Culture pour tous: marche arrière toute!, on peut constater que les cadres se rendent plus souvent à l’opéra, au théâtre et au cinéma que les classes populaires. La cause est en partie économique mais aussi psychologique car les classes populaires se sentent exclues des lieux dont, d’après elles, le standing ne correspond pas à leur niveau de vie. Ainsi, la possibilité de fréquenter les musées ou les opéras diminue pour ces classes. Chez les classes supérieures, les pratiques culturelles restent importantes malgré le fait que des changements s’opèrent au niveau de leur mentalité. En effet, d’après l’article, les classes supérieures ne vont plus voir un spectacle vivant uniquement pour se divertir et se cultiver mais simplement pour se montrer. De plus, ces classes supérieures consultent les journaux et l’information destinés davantage aux classes populaires, mais seulement à titre de loisir, de passe-temps.

La pratique culturelle n’est pas seulement freinée par des réalités économiques. On peut voir que les services gratuits ou quasi-gratuits n’ont pas contribué à diminuer les inégalités entre les catégories sociales. Le graphique suivant compare la fréquentation des musées et la pratique de la lecture en 1973 et en 2008. On remarque que la fréquentation des musées a augmenté dans quasiment toutes les classes socioprofessionnelles. Toutefois, la non-pratique de la lecture est en augmentation et les différences de pratiques entre les classes sociales sont d’autant plus marquées. A titre d’illustration, nous pouvons relever qu’en 2008, 50% des agriculteurs n’ont lu aucun livre contre 10% chez les cadres.

 

Figure 1: Enquêtes sur les pratiques culturelles

(source: Ministère de la Culture, 2008)

Par ailleurs, une autre étude (Égalité de la lecture) montre que les exploitants agricoles souscrivent beaucoup plus d’abonnements à des revues qu’à des inscriptions à une bibliothèque. On peut expliquer en partie ce phénomène par le manque de temps libre de cette classe professionnelle.

L’une des missions de l’école est l’ouverture des élèves à la culture pour constituer un socle commun à tous, quelle que soit l’origine sociale. Par conséquent, celle-ci devrait offrir un accès à la culture égale pour tous. 

 

L’école: un vecteur d’accès au patrimoine culturel pour tous mais qui n’efface pas pour autant les inégalités

            En France, l’école se veut égalitaire quelles que soient les origines sociales des élèves. Pourtant, on s’est très vite rendu compte que l’égalité des chances n’est pas respectée et que certaines catégories sociales sont plus avantagées que d’autres face à l’accès et à la réussite scolaire. En effet, comme le montre l’article de l’Observatoire des inégalités, intitulé L’inégal accès au bac des catégories sociales, les enfants de cadres ont plus de chances de faire des études longues que les enfants d’ouvriers. Le choix des études est en partie fonction de l’origine sociale. Ainsi, on observe que les enfants d’ouvriers sont généralement orientés vers des cursus scolaires de types professionnels ou technologiques, contrairement aux enfants de cadres qui privilégient des études plus générales leur ouvrant les portes des universités et des écoles supérieures. Les étudiants reproduisent le parcours de leurs parents. Pour beaucoup d’entre eux, dès leur arrivée à l’école, leur parcours scolaire est tout tracé.

Figure 2: L’école, fabrique d’inégalités (source: Pour une autre éducation)

Cette illustration met en évidence le phénomène de reproduction des parcours. Les enfants de cadres effectueront un métier d’encadrement et les enfants d’ouvriers, un poste d’exécution.

« L’école française se veut juste » mais elle ne remplit pas ses engagements comme le démontre Arnaud Gonzague, journaliste. En France, l’Éducation Nationale a le monopole de l’éducation, le système éducatif est très académique, il consiste à sélectionner les étudiants qui répondent aux exigences de l’apprentissage. Les enfants doués de leur mains, ayant du talent ne seront pas autant valorisés que des enfants doués en mathématiques ou autres matières théoriques.

Toutefois, on observe depuis plusieurs années une certaine évolution puisque de plus en plus de jeunes issus de classes populaires font des études plus avancées et plus générales qu’auparavant.

En ville, le lieu d’habitation des étudiants influe sur leur réussite. Dans les quartiers défavorisés, le niveau d’études des parents est peu élevé ainsi, ils ne sont pas en mesure d’aider leur enfants dans les devoirs, ni leur payer des cours particuliers, c’est alors un engrenage infernal qui commence. Les inégalités s’accumulent et l’écart se creuse. Cependant, certains étudiants réussissent tout de même leur scolarité et arrivent à intégrer des écoles prestigieuses (comme Sciences-politique). Dans les zones défavorisées, l’État tente de mettre en place des solutions pour diminuer les inégalités avec l’instauration de Zone d’Éducation Prioritaire (ZEP). Les ZEP sont des zones définies comme « difficiles » où les établissements scolaires disposent de moyens supplémentaires et d’une plus grande autonomie pour pallier les problèmes d’ordre scolaire et social. Le budget alloué à ces établissements reste toutefois minime face à l’ampleur du phénomène.

 

En résumé

L’accès à la culture est un phénomène complexe, il est issu du patrimoine culturel familial, de la pratique d’activités culturelles et de l’éducation scolaire qui inculque les bases. Dès leur naissance, les enfants accèdent à un patrimoine culturel au sein de la cellule familiale. Ainsi, des inégalités sont déjà créées car les parcours, les coutumes, les pratiques sont différentes d’une famille à une autre. Aussi, des inégalités de pratiques sont notables entre les classes socioprofessionnelles: les lieux culturels sont plus souvent fréquentés par les classes supérieures que les classes populaires (le coût des sorties et le sentiment d’exclusion sont des freins). L’école, qui se veut démocratique, engendre malgré elle des inégalités. Dès leur arrivée à l’école, les élèves ont leur parcours scolaire tout tracé. Des systèmes d’aide sont mis en place dans les zones défavorisées (création de ZEP et statut particulier des établissements scolaires situés au sein de ces zones). Toutefois, cela ne suffit pas pour combler les déséquilibres. Ainsi, l’accès à la culture est surtout fonction de l’origine sociale.

On peut se demander s’il existe des solutions qui ont déjà fait leurs preuves dans d’autres pays et qui pourraient être envisagées en France pour réduire ces inégalités de manière durable et significative. Au Canada par exemple, l’école est particulièrement performante et équitable.


Guyon Carole

BIBLIOGRAPHIE

 

Bourdieu, Pierre.Les trois états du capital culturel. Persée Actes de la recherche en sciences sociales, 1979 (consulté le 18/02/13) Disponible sur : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1979_num_30_1_2654

Damon, Julien. L’inégal accès au bac des catégories sociales. Observatoire des inégalités, 16 juin 2013 (dernière révision le 06/12/13, consulté le 18/02/13) Disponible sur: http://www.inegalites.fr/spip.php?article272

Gonzague, Arnaud. École=fabrique d’inégalités. Nouvel Observateur le 04/05/13 (consulté le 21/12/13) Disponible sur : http://tempsreel.nouvelobs.com/education/20130318.OBS2300/ecole-francaise-fabrique-d-inegalites.html

Ladaique, Maxime. L’inégal accès à la lecture. Observatoire des inégalités, 11 novembre 2009 (dernière révision le 12/12/13, consulté le 14/01/14) Disponible sur: http://www.inegalites.fr/spip.php?article341

Lodé, Thierry. L’école fabrique de l’inégalité. Pour une autre éducation blog de Fabien Bon. Disponible sur :

http://www.autreeducation.sitew.com/L_ecole_fabrique_de_l_inegalite.B.htm#L_ecole_fabrique_de_l_inegalite.B

Maurin, Louis. Capital culturel. Centre d’observation de la société, 15 janvier 2014 (consulté le 20/01/14) Disponible sur : http://www.observationsociete.fr/capital-culturel

Maurin, Louis. L’école peut-elle réduire les inégalités sociales ? Observatoire des inégalités, 13décembre 2013 (consulté 20/01/14) Disponible sur : http://www.inegalites.fr/spip.php?page=analyse&id_article=531&id

Ministère de la culture. Enquête sur les pratiques culturelles. (Graphique) Disponible sur : http://www.inegalites.fr/spip.php?article1455

Multeau. Finkielkraut et L’Equipe. Homo sociologicus, le 13 janvier 2008 (consulté le 29/11/13 Disponible sur: http://www.blogg.org/blog-56820-billet-finkielkraut_et_l_equipe-738579.html

Ministère de la culture. Enquête sur les pratiques culturelles. (Graphique) Disponible sur : http://www.inegalites.fr/spip.php?article1455


 

5 réponses sur « Accès à la culture et origines sociales »

Bravo pour cet article très intéressant et très bien rédigé. Ce problème des inégalités sociales au sein du système d’éducation en France est un sujet récurrent dans les médias. Les arguments pertinents dans cette article démontrent que cette injustice sociale est due à l’origine sociale des personnes et qu’elle a un effet direct sur l’accès à la culture et l’ouverture d’esprit culturelle. Pour trouver des solutions viables et durables à ce problème, les responsables politiques français devraient s’appuyer davantage sur d’autres systèmes d’éducation plus performant, comme en Finlande et en Suède, qui sont régulièrement cités dans les médias comme modèles d’exemple à suivre en terme de résultats au niveau de la réussite scolaire ainsi que d’efficacité et d’équité dans l’éducation.

Très bon article, intéressant et bien rédigé, sur un sujet actuel, je suis d’accord avec Damien. J’aime bien que tu souligne le fait que l’accès à la culture ne puisse se faire qu’en ayant une attitude active, ce qu’on oublie parfois, en ne prenant en compte que les moyens financiers. C’est pourquoi je trouve intéressant l’approche de l’origine sociale.
bref, les Vosges ont assuré encore une fois!!!

Article très intéressant et très enrichissant. Ce fut un plaisir de lire ce blog !! Tu rédiges et tu argumentes très bien. Les supports utilisés : photos, graphiques illustrent ton thème .Je trouve très intéressant la question que tu te poses lors de ta conclusion car ceci est vraiment la question qui peut permettre à la France d’envisager et de mettre en place des solutions pour réduire ces inégalités, qui à l’heure actuelle, sont sans cesse en hausse.

Alors déjà super article, bien écris, complet. Bravo.
L’accès à la culture est un problème récurent dans nos sociétés, et pourtant de nombreux musés deviennent gratuit ou on des accès a tarifs réduits. Les cinémas , les concerts, le théâtre, tout est ceci est facilement accessible de nos jours et pourtant avec internet et la TV les gens ne veulent plus sortir des chez eux pour rencontrés des personnes et s’instruire, tout est a porté tout est devenu si simple. Et pourtant ce n’est pas la qu’ils pourront s’instruire. C’est un mal profond qui sera difficile de contrer.

Article bien rédigé. De bon arguments et des exemples concis.
D’après moi, tant qu’il y aura des inégalités économique entre chaque classe social, des inégalités culturels subsistera

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