<
Myriams-Fotos, septembre 2016, Garçon enfant triste, Pixabay
Que nous le voulions ou non, nous héritons tous d’une famille. De la fratrie nombreuse à l’enfant unique ou orphelin, de la famille la plus pauvre à la plus riche, de la plus stable à celle où les parents sont les plus déviants, de la famille autochtone à la famille immigrée, de la famille recomposée à la famille nucléaire : la famille est unique. Tous ces exemples composent l’héritage familial. La jeunesse est l’étape de la vie entre la naissance et l’âge mûr où l’individu construit son identité, ses idéaux et ses valeurs, mais à l’heure où les inégalités sociales, économiques et culturelles se creusent constamment en France, et particulièrement chez la jeunesse des questions se posent : quel est le rôle de la famille ? Est-elle la principale cause de ces inégalités ? L’origine sociale, la composition de la famille, la culture, l’éducation des enfants peuvent-ils représenter un réel handicap pour la jeunesse ? Comment la famille peut-elle avoir un impact négatif sur le bien-être de la vie des jeunes ? De manière plus générale, ces questionnements nous amènent à nous demander : En quoi l’héritage familial représente-t-il un poids pour la jeunesse, du point de vu de l’individu lui-même et sur son insertion au sein de la société ? Ce « poids » est il à relativiser ?
L’héritage familial : un poids sur l’individu lui-même
Le bien-être est un élément fondamental pour tout être humain, mais plusieurs études nous montrent que la famille peut être à l’origine de malaise chez les jeunes. Le terme d’enfant sera utilisé ici au sens de filiation.
Comme le souligne Isabelle Corpart, Docteur en droit et enseignante du droit de la famille, il peut arriver que les parents biologiques de l’enfant aient recourt à une recomposition familiale après une séparation ou un divorce, et prennent des décisions qui nuisent à l’enfant au profit de l’autre famille : en ce qui concerne les montants des droits successoraux par exemple, de plus, vivre loin de l’un de ses deux parents peut être négatif pour l’enfant. Dans une famille où l’un des parents est alcoolique, une véritable défaillance parentale est souvent constatée, il peut arriver que l’enfant soit traité au sein de sa famille comme un “bouc émissaire”, un “clown”, ou un homme “invisible”, s’ajoutant aux absences parentales répétées, à la négligence des besoins affectifs de l’enfant et aux conflits conjugaux, souvent à l’origine de troubles comportementaux, psychiques ou encore de dépression chez celui-ci, comme le souligne le Dr Philipe Michaud, médecin alcoologue dans son étude relative aux enfants de parents alcooliques. Suite au décès d’un parent, les jeunes orphelins se retrouvent de façon récurrente submergés par “la tristesse”, “la colère”, “l’angoisse”, la “culpabilité” et la “souffrance”, comme le souligne un sondage réalisé par l’UNAF (voir graphique ci-dessous). Traumatisés par la mort, les jeunes enfants vivent alors dans la peur constante de perdre encore un autre membre de l’entourage. D’autre part, lorsqu’un enfant est jeune au moment du décès, il est fréquent que la conspiration du silence s’installe.
D’autres problèmes, cette fois plus relatifs aux jeunes de familles immigrées sont exposés par le médecin Anne Tursz, pédiatre et épidémiologiste, où elle souligne particulièrement la pression et l’acharnement exercés par les parents sur leurs enfants en vue de leur réussite scolaire (symbole d’une “immigration réussie”), étant à l’origine d’anxiété.
UNAF, Septembre 2011, Sondage :«Les sentiments éprouvés des jeunes orphelins lors du décès d’un parent», Enquête nationale.
Si la famille peut représenter un fardeau en ce qui concerne la santé mentale des jeunes, elle ne l’est pas moins pour la santé physique.
Comme le souligne Isabelle Corpart dans son étude « les enfants à l’épreuve des reconstitutions familiales« . Il peut arriver que dans le cas d’une séparation des parents biologiques, le parent n’ayant pas la garde de l’enfant refuse de répondre aux besoins physiques de celui-ci, même si le rôle de la loi est de maintenir la sécurité de l’enfant. Dans le cas d’un parent alcoolodépendant la négligence des besoins physiques de l’enfant, les pratiques violentes envers l’enfant comme les abus sexuels sont récurrentes. Le docteur Michaud expose la principale conséquence d’avoir un parent alcoolique : avoir une probabilité bien supérieure à la moyenne de devenir dépendant très jeune à l’alcool ou à la drogue. Ce « problème d’hérédité » se retrouve également chez les enfants de parents souffrants d’obésité. En effet, les parents en surpoids ont tendance à négliger le poids de leurs jeunes enfants. Ainsi, leur « chance » de devenir obèse à leur tour est plus élevée, comme nous pouvons le lire dans l’article publié dans le journal Le Monde “L’obésité : une affaire de famille” , rédigé par le journaliste Damien Mascret. De même, dans son article concernant la déviance chez les jeunes, Anne Tursz dit rencontrer souvent de jeunes enfants maghrébins souffrant de troubles du sommeil et de l’appétit suite à l’acharnement exercé par leurs parents en vue de leur réussite. En effet, ceux-ci sont vus par leurs parents comme une opportunité pour accéder à l’ascension sociale.
L’héritage familial, de la même manière qu’il est source de mal-être physique et mental, peut laisser aux jeunes de trop lourdes responsabilités ou des manques.
En effet, les jeunes peuvent se retrouver face à de lourdes responsabilités à cause de leurs familles, par exemple dans le cas où un parent est alcoolodépendant, l’enfant se retrouve souvent confronté à la parentification (Voir étude sur Les enfants de parents alcooliques). On retrouve ce même problème chez les jeunes orphelins. En effet, dans une enquête réalisée par l’UNAF, nombreux sont les jeunes qui se sentent “responsables” du parent encore en vie et de la fratrie suite au décès de leur mère ou de leur père, dans ce cas de figure on parle d’ ”enfance écourtée”.
Des manques matériels chez les jeunes sont également à souligner : lors du décès d’un parent il peut arriver que la famille proche du défunt essaie de s’accaparer des biens au détriment des enfants. Dans le cas d’une recomposition familiale, il arrive que les parents dotent plus largement les enfants de la seconde union plutôt que ceux de la première union, simplement par préférence.
Mais ce fardeau que représente l’héritage familial sur les jeunes en tant qu’individu, que ce soit au niveau de la santé morale ou physique et des responsabilités, est aussi présent dans le cadre de son insertion au sein de la société.
UNAF, Septembre 2011, Sondage :«Les conséquences de la perte d’un parent lors de l’enfance ou l’adolescence», Enquête nationale.
L’héritage familial : un poids sur l’individu et son insertion au sein de la société
« La famille est le premier système social par lequel le jeune enfant acquiert et développe des compétences cognitives et sociales”.
Annie Feyfant, chargée d’études à l’Institut français de l’éducation dans Les effets de l’éducation sur la réussite scolaire
L’insertion dans la société passant par l’éducation, fort est de constater qu’héritage familial et réussite scolaire sont étroitement liés.
Selon Annie Feyfant, le style éducatif des parents peut avoir un impact négatif sur le parcours scolaire des jeunes, surtout si celui-ci est en opposition avec celui des professeurs. Il peut être directement lié à l’origine sociale des parents : par exemple l’autorité parentale se caractérise, dans les milieux populaires par : la surveillance et la punition, ce qui peut se solder par un échec scolaire, comme elle l’énonce dans son étude intitulée « Les effets de l’éducation sur la réussite scolaire » . Autre exemple : dans les catégories populaires des déficits linguistiques alarmants sont décelés chez les enfants. D’après une étude spécialisée, dans le cas d’enfant d’immigrés, la taille de la fratrie et la structure de la famille influence les parcours scolaires, En effet, un jeune immigré provenant d’une famille nombreuse, ayant des parents non diplômés, d’une classe sociale défavorisée et ayant des difficultés financières possède des chances de réussite scolaire plus restreintes. Cette influence est d’autant plus forte si la violence à l’encontre du jeune est présente dans le foyer. De même, perdre un parent engendre chez les jeunes orphelins des défaillances au niveau scolaire : agitation, révolte, passivité, et difficultés de concentration, par ailleurs, ceux ci se voient aussi contraints de choisir des études courtes pour subvenir à leurs besoins rapidement.
Ce poids visible sur le parcours scolaire est en lien directe avec l’obtention de diplômes ou d’emplois. D’après une étude de l’INSEE portant sur des jeunes de 25 à 35 ans toutes origines confondues, ceux dont la famille provient de milieux aisés ont pour plus de 20% obtenus un diplôme de type licence ou maîtrise contre 10 % pour les jeunes dont les parents sont ouvriers ou employés, illustrant bien des disparités au niveau des diplômes obtenus selon l’origine sociale de la famille (voir graphique ci-dessous).
D’après une étude sur « les enfants d’immigrés et leur réussite scolaire selon leur origine migratoire » réalisée par Yaël Brinbaum, Laure Moguérou et Jean-Luc Primon, on observe des disparités entre les immigrés eux-mêmes selon leurs origines migratoires. Citons par exemple les jeunes Algériens et Turcs dont les chances de réussite scolaire sont davantage réduites et se soldent souvent par la non obtention de diplômes (voir graphique ci- dessous), ceci s’ajoutant à la discrimination à l’embauche : “un jeune de parents d’origine étrangère peut envoyer jusqu’à deux fois plus de CV pour obtenir un entretien “ : c’est ce qu’a souhaité dénoncer le gouvernement Français avec sa campagne #Lescompétenced’abord (voir affiche ci-dessous).
INED, INSEE, Enquête trajectoire et origine 2008, 10/10/2012 «Taux de non-diplômés au delà du brevet des 20-35 ans selon l’origine migratoire et le sexe», INSEE REFERENCE
INED, INSEE, Enquête trajectoire et origine 2008, 10/10/2012 «Taux de bacheliers des 20-35 ans selon l’origine migratoire et le sexe», INSEE REFERENCE
INSEE, Avril 2017, « Diplômes des jeunes âgés de 25 à 29 ans en fonction du milieu social », enseignementsup-recherche.gouv
Ministère du travail, 18 avril 2016, #LesCompétencesDabord : lutter contre les discriminations à l’embauche, travail-emplois.gouv
Cette discrimination nous amène à parler de la stigmatisation et des amalgames qui sont de plus en plus fréquents chez les jeunes et sont souvent à l’origine de déviances. Ceci les empêchent de se frayer une place au sein de la société.
Comme l’expose Anne Tursz dans son article publié dans Le Monde, les jeunes de parents d’origine étrangère sont souvent considérés comme des “boucs émissaires”, souvent traités de “voyous”, ou de “crapules”. Fort est de constater que les amalgames entre “immigration” et “délinquance” sont récurrents, même au sein du gouvernement. Ces amalgames entraînent une humiliation constante chez certains jeunes, les séquelles et leurs conséquences sont multiples : “Soif de vengeance” “vol” “radicalisation” “ troubles du comportement” affectant ainsi gravement les relations sociales. Certains s’abandonnent à la consommation de drogue. Des stéréotypes aux conséquences moindres sont à souligner concernant les enfants uniques, comme l’expose Jérémy Collado dans son article “Vive l’enfant unique!” publié sur Slafe.fr : souvent vu comme égoïstes, malheureux, en constant besoin de sociabilité, pourris-gâtés ou encore agressifs. Comme le dit François de Singly, auteur de sociologie de la famille contemporaine : “L’enfant unique n’est pas un modèle très positif en France”, en effet la France est un pays de culture idéologique nataliste et familialiste. L’enquête réalisée par l’UNAF expose le rejet dont les jeunes orphelins sont victimes à l’école : les autres jeunes enfants ont peur de perdre eux aussi leur parent et s’éloignent du jeune enfant, s’ajoutant au fait que celui-ci a aussi du mal à aller vers les autres.
Les problèmes judiciaires peuvent également être une conséquence de l’héritage familial, notamment dans le cas de recomposition familiale.
Isabelle Corpart dans son étude expose le fait que les nouvelles structures de familles ne sont pas toujours encadrées par des textes juridiques, ce qui entraîne de grosses difficultés dans la vie quotidienne et pour la vie future du jeune enfant : “l’absence de liens juridiques entre lui et sa belle famille” en est un exemple. Par ailleurs, il peut arriver dans certains cas que la nouvelle famille essaie de cacher son existence dans ses propres intérêts. Il peut également être victime de “reconnaissance mensongère” non souhaitée par le nouveau conjoint de l’un de ses parents. Pour en savoir plus : cliquez ici.
L’héritage familial : un poids à nuancer
Même si l’héritage familial représente souvent une charge pour la jeunesse dans notre société, il est aussi certain qu’il peut représenter une chance.
En ce qui concerne les enfants d’immigrés, comme nous l’expose l’étude menée par Yaël Brinbaum et ses collaborateurs, nous pouvons constater que l’origine de la famille n’est pas le seul facteur influençant l’échec ou la sous-réussite scolaire chez les jeunes immigrés, rentrent en compte d’autres paramètres en dehors de la famille (âge d’arrivée en France…). Les résultats scolaires médiocres de ces jeunes les emmènent vers des filières professionnelles permettant l’obtention d’un CAP ou d’un BEP en vu d’une insertion rapide sur la marché du travail, leur permettant de s’insérer dans la société. Les différents types d’éducation des enfants énoncés par Annie Feyfant dans son étude relative à la réussite scolaire nous montre que ceux-ci peuvent être favorables au développement cognitif et non cognitif des jeunes : la lecture quotidienne, la mise en place de projets et d’espace de communication en sont des exemples frappants. Par ailleurs, les parents possédants un capital culturel conséquent et un emplois stable apportent de l’aide à leurs enfants et leur capital économique suffisant leur permet d’avoir accès à des objets culturels comme des livres ou ordinateurs, leur intérêt pour l’école se transmet aux enfant, favorisant leur réussite. Dans le cas de recomposition familiale, la belle-famille de l’enfant peut, après un temps d’adaptation, lui procurer de nouveau protection, affection et bien être. Etre enfant unique n’est pas non plus un fardeau, contrairement aux idées reçus : en effet, l’enfant unique bénéficie de plus d’attention des parents que les enfants de fratries nombreuses. De plus cela évite les querelles et les jalousies entre frères et soeurs ainsi que le sentiment d’être mis de côté et les rivalités diverses qui laissent parfois de lourdes marques chez les jeunes, comme le souligne Jérémy Collado dans son article “Vive l’enfant unique ! ».
Nous avons pu voir à travers cette étude que l’héritage familial pesait réellement sur la jeunesse au niveau mental, physique et sur son insertion sociale. L’héritage familial détermine l’avenir. Provenir d’un milieu défavorisé, d’une famille divisée, étrangère, recomposée, de parents dépendants, immigrés, modestes ou être orphelin ou encore recevoir une certaine éducation peut être un réel obstacle. En effet, il peut être : responsable d’inégalités au niveau de l’emploi, de l’insertion sociale, de mal être physique ou mental, de lourdes responsabilités, de diverses formes de déviance, de difficultés financières et d’échec scolaire. Cependant l’héritage familial procure dans de nombreux cas sécurité et affection, elle est source d’aide et d’accompagnement et permet aux jeunes de se forger une identité au sein de la société.