Les proches sont souvent vus comme un moyen de se détendre et de penser à autre chose alors pourquoi ne pas lier l’utile à l’agréable en bouleversant l’équilibre des sphères du travail et de la vie familiale. Bien que cette idée semble utopique, elle n’est pas forcément viable pour tous. En réalité, il existe des conséquences négatives, et pas des moindres…
« L’entrée de l’usine marquait la frontière entre la vie hors-travail et la vie de travail. La pointeuse à l’entrée de l’atelier symbolisait la frontière entre le temps privé et le temps de travail ». Cette citation Frederick Winslow Taylor, ingénieur métallurgiste américain, père de l’OST (Organisation Scientifique du Travail) connue sous le nom de Taylorisme, avait déjà le mérite de rappeler le problème de fond, c’est-à-dire les conditions dans lesquelles travaillaient les personnes presque tous les jours pendant des dizaines d’années. Depuis, les modèles traditionnels ont progressivement cédé la place à de nouvelles configurations. Voilà pourquoi, la perméabilité des temps “d’emploi” et “hors emploi” est non négligeable.
Être parent : lier l’agréable et le contraignant au travail.
Certes, être parent peut donner des compétences très utiles au sein d’un emploi. De fait, selon Vera Karpuschkin (conseillère auprès des étudiants étrangers vivant en Allemagne) interviewée par le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, son rôle de mère a fait d’elle une meilleure employée, et son travail a fait d’elle un meilleur parent. La maternité lui a apporté de nouvelles compétences telles que la flexibilité, le sang-froid, la communication, la transparence, le travail d’équipe, et l’organisation des rendez-vous. Vera Karpuschkin fait donc partie des personnes qui pensent qu’il ne faut pas séparer la part professionnelle et la part familiale. Au contraire, selon de nombreux chercheurs, les deux s’enrichissent mutuellement. D’après une enquête menée en 2018 auprès de 400 personnes par Joachim Lask, psychologue d’entreprise et familial, ainsi que Nina Junker, professeure de psychologie à l’université d’Oslo, 81% des participants ont déclaré qu’ils avaient acquis des compétences professionnelles au sein leur cercle familial et 74% ont considéré qu’être parents faisait d’eux de meilleurs salariés.
Cependant, nous ne devons pas négliger les inconvénients potentiels. Ainsi Séverine LE LOARNE-LEMAIRE, Pierre-Yves SANSEAU et Mark SMITH (professeurs d’école de management à Grenoble) expliquent au sein de l’article « Reconsidérer le débat sur le rapport vie professionnelle/vie privée en France pour le dépasser : Plaidoyer pour une approche relationnelle », que les désagréments peuvent être: « dérapage quant aux nombres d’heures travaillées, réduction du temps personnel, du temps de repos, du temps familial et social, perte de repères, impacts sur la famille, le couple et les enfants, effets sur la santé et les rythmes temps de travail/temps de repos […] » . De surcroît, le fait de travailler sous pression temporelle encourage à continuer ses tâches professionnelles en dehors des horaires initialement établis telles que la rédaction d’emails le week-end et la gestion de dossiers administratifs en soirée à domicile. Les études sur ce sujet sont nombreuses (telles que celles de Metzger et Cleach en 2004 ou celle de Godard en 2007) et elles semblent toutes converger en un point: l’accès aux mails professionnels depuis la maison et le smartphone entraînerait, du moins en France, une extension des horaires de travail et modifierait les rythmes de travail. Ceci aurait un impact significatif sur l’équilibre entre vie personnelle et professionnelle.
Ces perspectives représentent un potentiel risque pour le bien-être mental des employés qui peut toutefois être amoindri grâce à des politiques de cohésion d’équipe.
L’amitié au travail “un couteau à double tranchant”
Améliorer la “rétention des équipes” est désormais un enjeu majeur pour les sociétés.
« Avant même de faire du chiffre d’affaires, c’est désormais la première préoccupation des dirigeants mondiaux » affirme Manuelle Malot, la directrice du New Gen Talent Center. D’ailleurs Jacques Forest, professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et psychologue, met en évidence que les relations amicales au travail favorisent une meilleure qualité de vie. En revanche, le fait que l’amitié se déploie dans le milieu professionnel est un couteau à double tranchant pour Cynthia Mathieu, psychologue industrielle et professeure à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
En raison de l’immixtion de la vie privée au sein du cadre professionnel, des désaccords peuvent survenir et donc impacter les deux sphères. En supplément le surtravail et le manque de temps de récupération constituent eux aussi des conséquences négatives très courantes. Celles-ci pourraient donc conduire à une fatigue mentale telle que le burn-out. On peut donc observer une baisse des performances cognitives avec, comme témoin classique, l’altération des capacités de concentration, des problèmes d’absentéisme, de démissions et de désengagement. Dans le monde du travail, où le sujet demeure délicat malgré une détresse psychologique qui affecte 42 % des employés en France, d’après le baromètre réalisé par le cabinet Empreinte Humaine. Mais encore selon l’étude « People at Work 2024 : l’étude Workforce View » réalisée par ADP Research, six employés français sur dix éprouvent du stress au moins une fois par semaine. Il s’avère que ce sont principalement les femmes qui en souffrent le plus. Nous pensons que cela peut être dû à la charge mentale que doit porter une femme au quotidien.
La doxa affirme que “la vie est trop brève pour être vécue dans le malheur. Lâchez prise sur ce qui ne vous est plus utile, ayez confiance en vous et adoptez une attitude positive”. Plutôt amusant quand on repense au fait que le surtravail pousse à bout les employés.
RAYOT Manon
SIORSKI Lilou
Bibliographie:
Être parent : une compétence utile au bureau. Courrier international (en ligne), novembre 2023 [consulté le 15 octobre 2024]. Disponible sur : https://www.courrierinternational.com/article/travail-etre-parent-une-competence-utile-au-bureau
Thomas, Jules. Comment concilier flexibilité et équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Le Monde, 14 décembre 2023, n°24555, p 18. [consulté le 15 octobre 2024]. Disponible sur: https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/12/13/comment-les-entreprises-tentent-de-concilier-flexibilite-et-equilibre-vie-professionnelle-vie-personnelle_6205523_1698637.html
Comment reconnaître et combattre la fatigue mentale. Nice matin (en ligne), 4 décembre 2023 [consulté le 15 octobre 2024] Disponible sur : https://www.nicematin.com/sante/comment-reconnaitre-et-combattre-la-fatigue-mentale-889411#
LE LOARNE-LEMAIRE, Séverine / SANSEAU, Pierre-Yves /SMITH, Mark. Reconsidérer le débat sur le rapport vie professionnelle/vie privée en France pour le dépasser : Plaidoyer pour une approche relationnelle. RIMHE (Revue Interdisciplinaire Management, Homme(s) & Entreprise), mars/avril 2014, n°11 [consulté le 13 décembre 2024] Disponible sur : https://shs.cairn.info/revue-rimhe-2014-2-page-41?lang=fr
JASOR Muriel, La santé mentale des salariés est le risque le plus mal anticipé. Les Echos, 10 octobre 2024, n°24314, p 12. [consulté le 13 décembre 2024] Disponible sur: https://www.lesechos.fr/idees-debats/leadership-management/la-sante-mentale-des-salaries-est-le-risque-le-plus-mal-anticipe-par-les-entreprises-2124287
CHAMPALAUNE Gwénola. « Scinder vie privée et professionnelle ». Journal du Centre, 29 décembre 2023, p 8. [consulté le 13 décembre 2024]
GOYER Maude. Les deux côtés de l’amitié au travail. La presse [en ligne], mise à jour le 27 Février 2024 [consulté le 18 décembre 2024] Disponible sur: https://www.lapresse.ca/affaires/2024-02-27/vie-au-travail/les-deux-cotes-de-l-amitie-au-travail.php